Daniel Travier, nous livre son avis sur « Georges Fontane, de la mine au ciel » de Martine Michel paru aux Éditions Nombre7 .

Qui, à l’exception d’éventuels centenaires ayant conservé une mémoire active de leur enfance, peut se souvenir des « Rois de l’abîme », ces funambules qui, sur un câble enjambant les vallées cévenoles, pratiquaient toute sorte d’acrobaties qu’admirait une foule à la fois émue et enthousiaste ? En effet c’était au début des années 1930 que Georges Fontane et sa sœur Yvonne, qu’il appelait « sœurette », évoluaient dans les airs en trottinette, en bicyclette ou en trapèze volant…

Comme beaucoup de fils ou petits-fils de paysans des vallées minières, Georges Fontane (1908-1988) a d’abord connu une enfance rurale heureuse à la campagne dans le mas familial, l’Aire, commune de Molière-sur-Céze, avant d’être engagé à la mine à l’âge de 12 ans afin d’apporter sa contribution aux faibles revenus d’une famille pauvre. Son père, « Pa », était déjà mineur-paysan. George Fontane, toute sa vie, s’est nourri de deux cultures. Une enracinée dans la ruralité protestante des Cévennes, naturellement acquise au contact de sa Grand-mère, « Mé », des activités du mas, de la découverte de la nature, avec le patois (l’occitan) comme langue maternelle au sens étymologique du terme, c’est-à-dire apprise au sein de sa mère « Ma ». L’autre industrielle, minière, prolétarienne, venue du fond et du carreau de la mine de charbon où le garçonnet apprendra la dureté du travail, les brimades initiatiques, les luttes contre l’injustice avec une adhésion au Parti Communiste Français auquel il restera toujours fidèle.

De constitution fragile, avec un esprit affûté, une intelligence fine, une imagination fertile, il possédait les deux qualités morales généralement attribuées aux cévenols. C’était un imagenaire, un ideios au sens noble du terme, idéaliste, mais aussi foisonnant d’idées, d’aucunes réalistes d’autres plus fantaisistes. Il était aussi à sa manière rebossièr, non qu’il fût acariâtre, bien au contraire c’était la gentillesse même. Il ne prenait pas non plus le contre-pied de tout. Il était rebossièr, davantage dans le sens de rebelle à une société où régnait l’injustice. Très adroits de ses mains il travaillera aussi bien le bois, la pierre que le fer. C’est grâce à toutes ces qualités qu’il s’évadera un temps de la mine pour s’élever dans les airs circulant avec « sœurette » sur un câble tendu d’un versant à l’autre d’une vallée, au cours des années 1933, 1934 et 1935 assurant 47 représentations. Avec la crise c’est le retour à la mine, puis pendant la guerre une entrée dans la Résistance. L’invention d’un système de sécurité pour les wagonnets que l’ingénieur récupérera, lui permettra de quitter le fond pour travailler au jour à la centrale thermique puis à la surveillance du téléphérique qui évacuait les déblais de la mine. Les câbles, il connaissait ! En 1946 il a épousé Fernande Brousse qu’il appelait « Fleur de genêt ». Cette fille d’agriculteur ardéchois (de Thines) était de treize ans sa cadette. Elle sera la compagne aimée jusqu’à la mort de Georges en 1988 à l’âge de 80 ans.

Le livre de Martine Michel, Georges Fontane De la mine au ciel, est d’abord un bel hommage à l’homme exceptionnel qu’il fut. Il a vécu mille vies dans une, homme de la terre mais aussi de la mine, artisan travaillant de ses mains, homme de spectacle, funambule, acteur (il a joué dans le téléfilm de Jean L’Hôte : Le huguenot récalcitrant), artiste peintre, intellectuel… Écrivain et poète, il s’est exprimé avec autant de finesse en français qu’en patois cévenol, maniant magnifiquement les deux langues. Son roman autobiographique Les quatre temps ou la vie d’un mineur cévenol a été édité à compte d’auteur en 1971 puis réédité par le Garae/Hesiode et le Club Cévenol en 1988 avec une remarquable et riche postface de Jean-Noël Pelen. Une dizaine d’années ont été nécessaires à Georges Fontane pour finaliser cette œuvre littéraire dont la lecture marque profondément : « J’avais été subjugué – et je n’étais pas le seul – par l’ouvrage… Quelle écriture, quelle finesse, quelle profondeur et quelle vie » (Jean-Noël Pelen in préface à De la mine au ciel). Sans doute aussi une grande sensibilité et une philosophie de la vie des humbles se dégagent de l’œuvre.

La première partie de l’ouvrage de Martine Michel a un caractère biographique. Elle est accompagnée de nombreuses photos. Le chapitre Les rois de l’abîme offre au lecteur pour son plaisir, un grand nombre de documents (contrats, affiches, articles…) et un ensemble exceptionnel de photos inédites et impressionnantes de Georges Fontane et « sœurette » dans les airs sur la trottinette ou la bicyclette, sur le trapèze volant… exécutant des figures de voltige et notamment des photos d’Yvonne droite sur la selle du vélo et tirant avec un fusil des ballons lancés par un tiers.

La seconde partie a le grand mérite de donner au lecteur un choix de pièces inédites, surtout en occitan, qui apparaissent dans la graphie de Georges Fontanes avec une transcription en occitan classique et une traduction en français. Madame Fontane, Fleur de genêt, avait donné les manuscrits inédits de son mari après son décès à Jean-Noël Pelen. Ce dernier a souhaité les déposer dans un fonds public et les remit au Musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard. C’est donc à Maison Rouge que Martine Michel les a consultés. Elle a retenu pour sa publication les pièces dédiées à Jean-Pierre Chabrol Jean-Pierré au Paradis, Jean-Pierré lou diable é lou Bouon Dïou et Jean-Pierré aux enfers1. Les deux hommes s’étaient liés d’une très grande amitié. Vient ensuite un ensemble de contes inspirés par la tradition orale, regroupés dans un recueil intitulé : L’homé viel é lou viel castagnè – Contés dé véihado én patouès langédoucien suivis de pouèmo cévénöu (ou sus las Cévenno)2.

Le livre de Martine Michel bénéficie d’une magnifique et dense préface due à l’ethnologue Jean-Noël Pelen qui ayant approché Georges Fontane dans les années 1970, avait été séduit par ce personnage hors du commun. C’est à sa perspicacité que l’on doit la réédition des Quatre temps en 1988. Cette préface constitue un puissant hommage à ce cévenol aux multiples facettes et permet une approche sensible de sa riche personnalité. Elle a aussi le grand mérite de donner une indispensable mise en perspective de l’œuvres de Georges Fontane et tout particulièrement des contes publiés dans l’ouvrage.

Le livre s’achève par une postface de Pierre Mazodier qui lui donne en quelque sorte ses lettres de noblesses occitanes.

1 Graphie de Georges Fontane

2 Graphie de Georges Fontane

Daniel Travier, Inventeur du Musée des Vallées Cévenoles.